A moitié endormie, je souris vaguement en pensant à la demi-journée de congé qui m’attend quand d’un coup, je me dresse droite comme un i dans mon lit comme brusquement revenue sur Terre : aujourd’hui, point de farniente, c’est mission commando à la Mairie pour y régler des soucis d’ordre administratif. Youpi.
Des frissons me parcourent le dos rien qu’à la pensée de cette expédition en milieu hostile et je ne peux m’empêcher de me remémorer les 12 travaux d’Astérix et ce fameux passage dans la maison de fous à la recherche du formulaire A38 (voir lien vers la vidéo en bas)…
Cela fait pourtant plusieurs jours que je me conditionne pour cette aventure. J’ai regardé la dernière saison de Kho Lanta et j’ai visualisé mentalement toutes les déconvenues possibles : attente interminable, manque d’un papier essentiel, retour à la maison, petite vieille qui tente de passer devant tout le monde, gosses qui hurlent, démarches supplémentaires à effectuer...
Objectif n°1 : garder le sourire. Je n’ai pas envie de passer à la rubrique des faits divers sous le titre « Après 3 heures d’attente, elle frappe un agent communal à coups de tampon encreur ».
Côté équipement, j’ai préparé un solide paquetage :
-Chaussures confortables aux pieds + paire de tongs dans le sac prêtes à être dégainées
- Petit gilet + parapluie en cas d‘intempéries et chapeau + crème solaire en cas d’attente sous le soleil
- Lunettes de soleil : pour cacher d’éventuels rictus de colère en cas d’échec de l’opération sourire
- Petit encas + petite bouteille d’eau : il ne faudrait pas que je loupe mon tour pour cause d’hypoglycémie ou de déshydratation
- Petit encas bis, si le premier ne suffisait pas
- Documents administratifs en tout genre pour parer à toute éventualité : facture d’eau, facture d’électricité, photocopie de ma carte d’identité, permis de conduire, carnet de correspondance, radio des poumons, derniers relevés de compte, liste de course, derniers bulletins de salaire, timbres postaux, dernière feuille d’imposition, baccalauréat, derniers résultats de prise de sang, brevet de natation, carte vitale, carte d’électeur, carte de donneur d’organe, acte de mariage, autorisation d’absence de mes parents, timbres fiscaux. Je suis sûre d’avoir oublié quelque chose…
- Un stylo et un bloc-notes
- Un magazine, un livre et mon téléphone portable pour combler l’attente
- 200 € en liquide, pour graisser la patte d’un éventuel agent récalcitrant
- Un caddie emprunté au supermarché pour transporter le tout
Une fois sur les lieux, je scrute à 360° autour de moi : personne n’attend, je dois être la première. Yes, c’est mon jour de chance ! Docile, je me dirige tout de même vers la machine qui me délivre un ticket numéroté et m’assoit : eh oui, ce n’est pas parce qu’il n’y a personne d’autre que c’est mon tour pour autant…
5 minutes passent. Mais qu’est-ce qu’ils fichent derrière leur bureau ?
Je fixe tour à tour les différents panneaux lumineux pour être sûre de ne pas louper mon numéro, le vérifie ensuite sur le ticket, refixe les panneaux.
Toujours aucun signe de vie. Je me demande si je ne suis pas devenue invisible. Je toussote pour me manifester discrètement.
Mon numéro s’affiche enfin et un agent municipal me fait signe d’avancer en me gratifiant d’un sourire cordial. Tant de facilité rend la chose suspecte… un forcené aurait-il pris le service en otage et on tenterait de me le dissimuler ?
Assise dans le petit box, je présente ma requête et mes questions (j’en ai toujours malgré 3h passées sur le net) le plus posément et distinctement possible. Mon interlocuteur fait montre d’une attention qui frôle la paralysie. Seul un battement de cils m’indique qu’il est bien vivant.
A mon grand étonnement, il me répond fort aimablement et je comprends chaque mot qui sort de sa bouche. Cerise sur le gâteau, les conditions sont réunies pour que tout soit réglé en quelques minutes.
Alléluia ! De petits chérubins aux cuisses potelées sortent virtuellement des murs de la Mairie et me chantent une aria. Jamais démarche administrative n’avait eu d’issue aussi heureuse.
Regonflée à bloc vis-à-vis du genre humain, je sors de la Mairie pleine d’entrain et d’espérance quand une voiture manque de me renverser. Elle s’arrête un peu plus loin et son conducteur sort la tête par la fenêtre pour me hurler des insanités.
Retour à 0 de mon indice de confiance : le monde est vraiment une jungle.